C’était il y a un an. De passage en région parisienne, j’allais assister ce soir-là à un concert mémorable. Une claque. Un grand coup dans mes habitudes. Xavier Lespinas allait nous présenter un concept étonnant de musique inspirée, à écouter autant avec le cœur qu’avec les oreilles. Un son capable de libérer sur ses auditeurs une puissance d’apaisement étonnante. Ici, point de statue de Bouddha pour décorer la scène. Point de Shiva multibras, quoique le talent multiforme des musiciens pourrait laisser penser le contraire. Nous sommes à l’Eglise Evangélique de Pontault-Combault. Alors la référence ici, c’est un homme de la Bible nommé David. Avant de devenir lui-même roi, David était capable d’apaiser son prédécesseur lorsqu’il jouait de la musique en sa présence. Le ton est donné. Au programme de ce concert, ce sera paix et rafraîchissement.
Étonnamment, le collectif Toi & Moi joue ce soir ensemble pour la première fois.
Xavier explicite la démarche. Grand batteur devant l’Éternel, et parce qu’il ne fait de toute façon rien comme tout le monde, il a décidé de prendre le projet à l’envers. Il a enregistré les batteries et a envoyé les sons à ses amis musiciens. Ceux-ci avaient la responsabilité de composer les mélodies à partir des rythmes. Il fallait oser. Chacun son titre, et c’était parti. Le tout donnerait un album instrumental no stress, capable de dire quelque chose de spirituel sans user des textes pour y parvenir. Pari tenu. Xavier s’installe derrière sa grosse caisse.
Sullyvan Rhino (dit Sully), prodige de la basse, formé sur le tard alors qu’il était pianiste, explique avoir composé le titre « Juste une émotion » en écrivant des parties entières sans découpage.
Les basses planantes ouvrent sur le doute, la curiosité, un brin de mélancolie, une atmosphère de nostalgie.
Imaginez-vous sur une plage bretonne, porté par une mélodie d’ambiance cool à la Dan Ar Braz. Vous y êtes.
Encore sous l’émotion, place aux cinq musiciens (dont deux synthés et une drôle de guitare couleur vert d’eau) pour transmettre « La réponse » sortie de l’imagination de Matthieu Salmeron.
Retour de Sully : « J’ai beaucoup galéré avec le titre « Réflexion ».
Il y a plein de questions auxquelles on n’a pas de réponse, alors j’ai voulu poser des notes dessus. Je ne sais pas si on aura la réponse ici-bas. Mais les questions valent la peine d’être posées… ». Il s’installe à présent derrière le clavier, pour dérouler une mélodie inspirante, tandis qu’avec délicatesse, Xavier laisse rebondir ses baguettes sur sa caisse claire et que la basse de Greg vient soutenir le tout avec discrétion.
Alors que la salle est en pleine introspection, Samuel Durandeau enchaîne avec « Ère de solitude ».
Ambiance de désert. On peut passer par des déserts dans la vie. Est-ce qu’on fait les bons choix ? Est-ce qu’on peut aller plus loin avec Dieu ? Le nom est lâché. Nous sommes à l’église après tout, pourquoi le taire ? Dieu permet parfois des silences pour qu’on se pose les bonnes questions. Très discret à l’heure de s’exprimer, très présent à l’heure de souffler dans son cuivre rayonnant sous les projecteurs chauds, Samuel est accompagné de Thierry à la guitare.
Place à un blues que son auteur Eric Nicolle a voulu « pas trop triste ». « Bergerie’s Blues » est une mise en notes de l’histoire du fils prodigue.
Une histoire de père et de fils. Le fils d’Eric accompagne d’ailleurs son père sur la scène. C’est l’histoire d’un fils qui a eu le blues de la bergerie qu’il avait quittée, qui a décidé de se lever et d’y retourner. C’est l’histoire d’un bon berger qui désirait plus que tout lui ouvrir la porte de la bergerie. Ce blues-là mène chacun dans une atmosphère propre à faire le point sur lui-même.
« Une vie passée », de Sully (encore lui !) est une discussion musicale entre deux amis :
l’un qui expose ses questionnements, l’autre, plus sage, plus mature, qui partage ses expériences. Rien ne vaut le relationnel : le trio de basses emmené par son auteur dévoilent des échanges beaux et harmonieux.
Pause dans le concert : l’artiste-peintre Servane Pruvost présente l’œuvre qu’elle a créée pour illustrer la pochette de l’album.
« Dieu est le créateur et donne la possibilité de créer. Je voulais faire quelque chose d’aéré, de nuageux. Puis j’ai voulu du contraste. J’ai posé les couleurs puis les harmonies. Une stabilité posée sur le rocher. Mais une stabilité chahutée malgré tout, parce que la vie n’est pas facile non plus. » Message reçu : ceux qui dans le public n’étaient pas initiés à l’exercice de lecture d’une œuvre picturale viennent de comprendre. On avance et les pièces du puzzle commencent à donner forme à l’image complète. > Cliquez ici pour commander l’album
Olivier Mussard invite alors à s’imaginer dans les grands espaces avec une fraîcheur libératrice.
« Free » rappelle que Dieu nous aime tels que nous sommes : rien n’est à prouver, ni à lui, ni à personne. Cette liberté est traduite par une compo à trois guitaristes.
Matthieu qui nous avait déjà partagé « La réponse », fait à présent part de « La question », fruit d’un long travail de réécriture pour accoucher d’une version riche en harmonies et en accords.
L’occasion aussi de mettre à l’honneur Reynald, le pianiste au grand cœur.
Se promener le soir au bord de la plage. Sentir la brise caresser notre visage. « Brise du large » est composée par Samuel Durandeau.
Il est au saxo, son épouse Emma au clavier, Sully à la basse, et toujours Xavier à la batterie. Et chacun peut se laisser emporter par les sonorités sensuelles du saxo. Le large. L’espace. La grandeur.
Rupture, changement d’ambiance, avec « Déterminé » de Jérémie Poulet. Un titre beaucoup plus rock qui lui va comme un gant.
Inspiré par l’histoire de David (le même que tout à l’heure) et Goliath, il rappelle que, face aux géants de la vie, on peut s’appuyer sur Dieu qui reste à nos côtés. Les trois gratteux se lâchent sous les stroboscopes, comme si tout le travail réflexif et introspectif avait libéré une tension qui ne pouvait plus être contenue. Une occasion de nommer, féliciter et remercier les ingés son, ingés lumières, cameramen, qui viennent soutenir le travail des compositeurs et des musiciens. Avec un tel nom, Toi & Moi ne pouvait être qu’un travail d’équipe, qui permettrait à chacun de pouvoir s’exprimer !
S’exprimer dans la difficulté d’un projet délibérément mené à l’envers, où l’exercice consistait à trouver la composition qui irait sur la rythmique, plutôt que l’inverse.
Cette difficulté, c’est aussi celle que vivent ceux qui marchent avec Dieu. A contre-courant de ce qui se passe dans le monde. « Against the flow » (A contre-courant), c’est là qu’on va trouver des eaux chaudes. La chaleur du sax, soutenu par les mélodies entraînantes des trois claviers et le solo de basse qui transporte la salle. Sylvain Vautier a réussi à créer un bijou !
Bijou qui nous amène à un « Peace » final, signé Olivier Mussard.
Témoin que les artistes transmettent toujours un peu d’eux-mêmes dans leurs compos, il explique : « Ce morceau est né suite à une dispute avec ma femme. Je me suis isolé. J’ai improvisé ce morceau. Le titre « Peace » est venu. Et je suis revenu me réconcilier avec elle. Tout simplement ! »
Nous vivions ce soir-là une expérience unique, qui va encore continuer d’évoluer.
Plus qu’un CD ou un projet musical, Toi & Moi devient pour l’avenir un concert-histoire dont l’objectif est d’inviter les spectateurs à un voyage intérieur à travers une musique jazz inspirée.
Cette équipe de musiciens restreinte, avec Sullyvan Rhino comme directeur musical, Matthieu Salmeron comme directeur artistique, Benjamin Nussbaumer aux guitares, Sylvain Vautier au sax, Xavier Lespinas à la batterie et Benjamin Bouché pour le son, a construit un nouveau spectacle nommé « Toi & Moi, l’Expérience », dont l’objectif est d’établir une relation entre croyants et non-croyants qui aiment le jazz et l’improvisation dans les salles de concert françaises. Le prochain concert aura lieu le 23 juin à Paris Bastille, 44 rue de la Roquette.
La sortie de l’album Toi & Moi, déjà prometteuse, fait espérer un beau succès des concerts afin de faire réfléchir les spectateurs à l’existence d’un Dieu qui les aime. Encourageons l’achat du CD dont tous les bénéfices vont directement à la mission en France via l’association Agapé France.