Le Dr Denis Mukwege est connu comme étant « l’homme qui répare les femmes ». Dans l’hôpital qu’il a fondé en République Démocratique du Congo, il a soigné des dizaines de milliers de femmes, victimes de violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. A l’occasion de la sortie du livre de Nicolas Fouquet « Ils ont aimé leur prochain » dont il a signé la préface, l’homme qui fut plusieurs fois candidat au Prix Nobel de la Paix, répond aux questions de Paul & Séphora.
Vous menez un combat en faveur des femmes victimes de violences sexuelles. Pourquoi ce combat ?
Je mène cette lutte parce que j’ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas : c’est la force des femmes. J’ai aussi soigné des hommes qui ont subi de profondes humiliations. Pour soigner un homme, il faut cent fois plus de moyens, et les résultats sont plus décevants. J’ai constaté que les femmes sont beaucoup plus naturellement tournées vers les autres : les enfants, la famille… Leur force de résilience dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Tant qu’on ne donnera pas aux femmes la place qu’elles méritent dans la société, l’Afrique ira mal ! Si on donnait aux femmes la possibilité de siéger lors des prises de grandes décisions, notre humanité tournerait beaucoup mieux ! Souvent, les hommes veulent le pouvoir et nous obtenons les résultats que nous connaissons : guerres, migrations, … Les femmes produisent beaucoup mais ne participent pas au partage. Ça ferait une grande différence pour l’Afrique.
Comment faire changer les mentalités ?
Pour prévenir les violences faites aux femmes, il faut travailler sur l’éducation. Comment enseignons-nous nos enfants ? En temps de paix, nous devons travailler sur l’égalité de genre. Quand je vois la souffrance, je pleure et je n’ai pas honte de pleurer. Mais quand on formate les garçons à croire que pleurer est un comportement féminin, ça produit des effets sur la société !
Vous posez dans la préface d’ « Ils ont aimé leur prochain » la question « Que peuvent faire les chrétiens pour tendre vers la liberté, la justice, la paix et la solidarité dans un monde défiguré ? »Justement, comment l’Eglise pourrait mettre en place sa mission sociale dans un environnement qui lui est hostile ?

On ne peut pas espérer être dans un monde où les chrétiens seront partout spontanément accueillis à bras ouverts et applaudis. Avec l’égoïsme ambiant, beaucoup ne pensent pas à leur prochain, à leur voisin, s’estimant maîtres de tout. Il nous faut prendre conscience que nous sommes « le sel de la terre et la lumière du monde ». Nous avons à éclairer un monde obscur. Comment ? En vivant notre foi par les actes. Ce que nous faisons doit exactement traduire notre foi. Jésus nous demande : « Aime ton prochain comme toi-même ». Travailler constamment à cela est la seule façon de pouvoir amener les autres à s’interroger sur notre mode de vie. C’est bien plus cohérent que de donner des paroles sans actes !
Tout le monde n’est pas comme vous chirurgien, ou porté par une renommée internationale. Qu’est-ce qu’un chrétien « lambda », « normal », « de tous les jours », peut faire pour vivre cette solidarité ?
On n’a pas besoin d’avoir une renommée nationale ou internationale ! Le chrétien « lambda » a quand même un voisin dans son quartier, dans son village ; il a des collaborateurs au travail. Parfois, nous voudrions pouvoir vivre notre foi dans nos chambres, mais quand nous sommes à l’extérieur, nous avons honte de dire ce que nous sommes, nous ne voulons pas qu’on se pose de questions sur nous pour ne pas être stigmatisé. C’est là que le chrétien lambda devrait faire beaucoup plus ! Sans être une agression, notre comportement, inspiré du Christ, doit interroger le monde et amener les autres à se dire « ces gens, qui sont-ils ? » Face à la souffrance par exemple, qui est de partout – elle est dans mon pays, mais vous l’avez aussi avec les migrants, les chômeurs, les sans-abris – : quel est notre comportement ? Réagissons nous en considérant que « ce n’est pas mon problème ? », que cette personne est dans cette situation parce qu’elle l’a voulu ? Ou peut-on s’approcher de ces personnes pour leur parler, pour les écouter, pour savoir « qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Parfois, nous avons peur de les aborder alors que notre simple parole peut suffire. Combien de fois j’ai vu des personnes dans une souffrance énorme, et après les avoir approchées, leur avoir parlé, les avoir juste touchées, elles se sentaient valorisées. Elles sentaient leur dignité revenir. Et souvent, la question qu’elles posent est : « Qui êtes-vous ? ». Elles sont étonnées de voir que quelqu’un peut s’intéresser à leur souffrance. Et ça, ce sont des gestes que l’on peut poser tous les jours. On n’a pas besoin de crier partout « Je suis chrétien » ! Non ! Mais les gestes qu’on pose amènent les autres à se poser des questions : « Qui est-il, qui est-elle ? ».
En parlant des 31 personnalités présentées dans cet ouvrage, vous dites justement – « Quelles sont leurs convictions ? D’où vient cette solidarité ? Ces chrétiens n’ont jamais prétendu l’avoir inventée, Jésus lui-même était leur source d’inspiration. » – Pensez-vous que Christ soit le modèle parfait de solidarité ? Ou pensez-vous qu’il puisse exister hors du monde chrétien, un modèle de solidarité qui puisse être plus abouti encore ?
Le modèle de Christ m’a toujours frappé. Jésus pouvait très bien dire à une pierre de devenir du pain. Mais malgré sa puissance, il gardait la posture d’un homme face à d’autres qui ont des besoins, qui souffrent, qui sont malades, qui ont peur. Il s’est toujours premièrement comporté comme un homme devant toutes ces difficultés, alors qu’il pouvait les résoudre autrement.
Aucun être humain n’est capable de reproduire parfaitement ce modèle. Il est l’idéal de celui qui se donne aux autres. Jésus va au-delà de ce que nous-mêmes pouvons penser à notre propre sujet. J’ai lu beaucoup d’auteurs qui ont fait du bien, mais Jésus est l’inspiration parfaite, puisqu’il va au-delà des aspirations des gens. Et s’il va au-delà, c’est parce que, dans sa façon holistique de voir l’homme, il veut nous construire physiquement et spirituellement. Je ne connais pas d’auteurs qui m’ont impressionné de cette façon.
D’où vous vient cet engagement ?
Je suis né dans une famille chrétienne. Mais ma rencontre avec Jésus est une expérience particulière qui continue de me transformer au-delà de l’exemple de mes parents. Désormais, c’est cette relation que je vis chaque jour avec Jésus-Christ qui me fortifie au quotidien.